Et les ombres nous offrirons le couvert de leur feuillage...

[PV: Seiren]

Ces fils rouges qui relient les petits doigts des gens...

La nuit, froissée dans son orgueil drapé d'étoile par les conversations grésillantes de quelques lampadaires... La nuit, saveur d'interdit sucrée d'astres qui se dérobent, de célestes langueurs comme une myriade de voiles éclatants troués de pans de ténèbres... La nuit et tout ce qu'elle transporte de fantasmes, de regrets, d'espoirs...déçus, de rêves inassouvis, de volonté que l'on continue d'actionner même si tout cela est épuisant...

La nuit...
Conseil et repos lui sont inhérents disent les occidentaux.
Si c'est vrai... alors faîtes que mon rêve du jour se perpétue et devienne enfin réalité cette nuit.

Il file chez lui après avoir avalé en vitesse quelques comprimés, fonce vers la salle de bain afin de prendre une douche rapide et se changer, et c'est un homme comme neuf qui sort de la petite pièce carrelée après y avoir accompli les soins habituels et oser cette coquetterie presque oubliée de se parfumer.

Il ne sait pas ce qu'il a, c'est comme un feu mort qui se ravive, un âtre à l'agonie révélé au milieu des ruines écroulées. Et voici que face à ce soleil, ce soleil qui a peur du ciel alors que c'est pourtant lui qui l'éblouit, l'enfant éperdu lève les yeux et trouve la chaleur que lui refuse le soi-disant abri des hommes.

Alors oui, quoiqu'en pense sa mère, quoiqu'en pense le monde, il se fera oiseau. Icare était condamné à chuter: mais moi mes ailes sauront me porter plus haut, et t'entraînant dans mon périple, ensemble nous dépasserons l'Olympe et nous ferons notre propre monde de merveilles cachées, de splendeurs inavouées...


Inavouées...
Car ces élans, il ne saurait les déchiffrer, la mélodie de son coeur, tout aussi sublime qu'elle soit est jouée pour un sourd. Quand donc seras-tu capable de t'éveiller à ces battements comme la danseuse ou l'armée rythme ses pas sous l'appel du tambour...? Quand donc pourras-tu profiter pleinement de la vie qu'on t'a offerte mais que tu as rendue, faute de savoir en extirper les vers...

Ne te laisse pas ronger, n'accepte ni la pourriture rampante ni le tuteur trop sage, fait des erreurs, écorche-toi, mais toujours relève-toi. Une larve c'est laid... une larve ça finit par mourir lorsqu'elle reste enfermée dans son cocon...



Le silence...trouble.
Troublé.

A chaque fois ce sont ses pas qu'il croit entendre, échos de ce qui lui sert d'organe, message impatient d'un métronome en mal de presto, trop habitué à son léthargique lento.

Mais enfin, à qui appartient cette pulsation...? Et pourquoi donc ses braises luisent et scintillent sous la neige tel l'or dans la rivière? Pourquoi, pourquoi... Pour...
N'est-ce pas un tempo différent qui retentit à ses oreilles...?
... quoi?!

"Seiren...?"

La voix vibrante se fait ténue, presque mystérieuse ainsi qu'une amante craint d'être surprise au bal malgré les interdits alors que le shingiin adossé contre la portière de sa voiture se redresse et scrute plus attentivement les alentours...

Le regard glisse sur les pavés et le goudron, n’ose pas se relever. Ne pas regarder les étoiles pour ne pas se souvenir qu’il y avait quelques jours à peine, elle avait l’impression de les frôler du bout des doigts. Car comme l’enfant au bord du lac, qui tend ses doigts vers le cygne majestueux, elle tombera à l’eau et se noiera.

Lorsque Ikaru lui dira qu’il a déjà quelqu’un…
Qu’il ne faut plus se revoir.
Et que tout redeviendra terne…

La foule l’entraîne contre son gré et ses pieds ont beau vouloir ralentir, éloigner le moment où il lui dira que tout est fini… Tout quoi ? Qu’es-tu pour lui finalement ? Qu’êtes-vous l’un pour l’autre ? Vous venez à peine de vous rencontrer…

Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que moi… Moi, j’ai besoin de lui. Ca ne s’explique pas, ce n’est pas rationnel, je n’ai pas de raisonnement tout préparé, mesuré au millimètre. Je le sais. Tout simplement.

Sous le voile d’ombre jeté par la casquette, c’est un regard voilé qui se pose sur Ikaru alors qu’elle le repère de l’autre côté de la place. Les battements de son cœur s’accélèrent malgré elle, la déchirent à chaque pulsation entre la joie de le revoir et l’envie de fuir pour ne pas entendre ce qu’il a à lui dire.

Tais-toi, stupide cœur ! Pourquoi es-tu obligé de l’aimer même dans ces moments-là ? Tout aurait été plus simple si tu ne t’étais pas enchaîné à lui… si tu étais resté silencieux. Maintenant que tu t’es enivré de lui, j’en suis devenue dépendante, tellement dépendante que je pourrais en crever s’il me laissait seule.

Dans les poches de son manteau, ses poings se ferment, ses doigts s’interdisent la chaleur de ses mains. Seiren ne veut pas goûter au paradis, à la paix si c’est pour plonger aussitôt dans ses tourments d’autrefois.

Et toi ! Ne prononce pas mon nom comme ça, je t’en supplie. C’est déjà tellement douloureux, ne fais pas naître d’espoir dans mon cœur quand j’ai autant de mal à l’étrangler. N’entends-tu pas ce cœur qui s’affole rien qu’à entendre ta voix ? Ou est-ce que ça t'amuse de tirer sur le ruban rouge, voir jusqu'où il va ?

- " Bonsoir. "

C’est un sourire bien maigre, une pâle imitation de sourire qu’elle lui oppose mais c'est tout ce dont elle est capable. Il faudra lui pardonner cette faiblesse...

- " Je suis fiancé… "

Ca y est, tout est dit.

Perles cristallines au coin des yeux.

- " Je n'aime pas cette fille, je ne l'ai vu qu'une seule fois dans ma vie et la seule chose que je sais d'elle c'est qu'elle est lesbienne. "

Je m’en fous. Ne me parle pas d’elle qui a la chance de t’avoir et ne la voit même pas.

Cœur qui s’effrite et pleure. Qui aime, qui a désespérément besoin d’aimer.

- " Je ne savais même pas que sa mère et la mienne s'étaient entendues pour nous caser ensemble. "

Je m’en fous, t’ai-je dit ! Je ne veux pas en entendre parler ! Ne parle pas de ta mère, de la sienne. De vous deux ! Dis-moi que tu ne veux plus me voir puisque c’est ce que tu vas dire tôt ou tard, mais ne me parle pas de devoir familial, d’arrangement. Ne te cherche pas d’excuses, j’en trouverai bien assez pour toi.

Canines qui viennent mordre la pulpe des lèvres pour s’empêcher de hurler.

- " Voilà, tu sais tout: je suis un couard, un fils qui à force de s'oublier dans son travail a déçu sa mère, l'a inquiétée au point qu'elle prenne ce genre d'initiatives sans savoir qu'elle me rendrait plus malheureux encore... "

Mais vas-y ! Dis-le ! Dis-le que tu ne veux plus…

- " Maintenant tu peux me le dire... Si tu préfères partir, trouver quelqu'un qui t'inspire... Après tout, je l'aurais bien mérité. "

Comment ?

Cœur qui manque un… deux battements. Puis se met à battre de nouveau. Lentement d’abord. Et de plus en plus vite, pulsant toujours plus fort une essence de paradis dans chacun recoin de son être.
Une larme, deux larmes… un torrent de soulagement qui vient diluer l’encre de ses prunelles, embrasser ses joues et s’écraser contre l’écharpe.

- " Je… "

Les mots restent bloqués dans sa gorge, s’écrasent contre sa langue. Il y a trop à dire à la fois et pas assez de mots pour ça. Alors elle s’avance, comble la distance qui les sépare en quelques pas et ses bras viennent le serrer contre elle, tout contre son cœur. Son visage vient se nicher au creux de son cou alors qu’elle s’enivre de son odeur, de son contact et elle ne peut que répéter…

- " Merci merci merci… "

Ce baiser, c’est une promesse soufflée du bout des lèvres. Son âme que l’on dépose dans le cœur de l’Autre pour qu’elle s’y love et se nourrisse d’Amour. Un silence qui en dit plus qu’un " Je t’aime ". Une promesse qui n’a pas besoin de grandes déclarations, de déclamations et de décorum. Un serment dont les lettres sont de joie.
C’est un ruban rouge que l’on se noue autour du cœur. De ce cœur qui bat si fort que Lui doit le sentir s’affoler. Dis-moi… l’entends-tu qui s’éveille à l’Amour, à Nous ? Chaque battement est une ode qui t’est dédiée, un aveu qu’il te murmure en rouge passion.

L’étreinte de ses bras se resserre autour de son cou, elle ne veut pas le laisser s’échapper même si leurs lèvres se quittent. Appuyant son front fiévreux contre le sien, elle sourit, la tendresse qui coule au coin des lèvres et vient creuser une fossette amoureuse. Le regard brille d’étoiles alors qu’elle murmure :

- " Que tu es beau… "

Oui, elle le trouve beau ce prince avec son sourire, son regard qui la fait rougir et lui fait perdre ses moyens. Mais ce n’est pas le prince charmant, parce que le prince charmant fait rêver toutes les jeunes filles. Et Seiren n’a pas envie de le partager avec d’autres, elle veut être la seule à rêver. La seule qui ait le droit de se lover contre lui comme elle le fait maintenant.

La main aux doigts fins vient frôler la pommette, trace l’arc de la mâchoire avant de plonger jusqu’à l’endroit où bat le cœur.

Grolp...

Les yeux s’écarquillent, la surprise pendue au bout des longs cils noirs alors que son rire gêné répond à la protestation de son estomac vide.

- " Pardon. " marmonne-t-elle, rougissante telle une enfant fautive avant d'expliquer, confuse : " C'est que nous avons eu une journée chargée et à peine le temps d'avaler quelque chose... alors... hmm.. voilà. Pardon. "

Un enchantement à nul autre pareil, des fleurs pour pleurer leur bonheur, et puis tous ces fils traçant un pont d'arc-en-ciel entre leurs âmes abandonnées... il voudrait rire, danser, s'entacher de rouge, de violet, de turquoise, l'entraîner sur ces montures multicolores pour mieux l'entraîner jusqu'au trésor. Une main posée sur le bas de son dos, il lui semble que ses chairs brûlent au contact de la belle... alors de peur que le charme ne se rompe et s'évanouisse, il reste immobile et silencieux. Et pourtant... elle est bien là, vivante... réelle.

Vivants...

"Non... c'est juste toi qui me rend beau..."

Un sourire...

Cela faisait tellement longtemps qu'il attendait cela, sans même oser s'avouer qu'il aurait pu, ne serait-ce que... l'espérer.

Et puis le temps se rappelle à eux alors que la faim se fait sentir, ou plus justement entendre. Alors les lèvres s'étirent, les yeux trahissent son amusement tandis que la fossette trace à même sa chair l'ombre qui a disparu de sa prunelle.

"En route pour un paradis de saveurs dans ce cas."

Galamment, il lui ouvre de nouveau la portière de sa voiture, profitant cette fois de pouvoir lui tenir la main alors que ses doigts communiquent aux siens une légère chaleur par une brève pression révélant presque sa... déception? de les lâcher ne serait-ce qu'un instant. Puis il contourne le véhicule et met le moteur en marche avant de se tourner légèrement vers... sa compagne.

Il a encore du mal à réaliser...
Tout ce qu'il vient de se passer. Tout ce que cela implique...

"Je t'emmène en voyage... Enfin à défaut de prendre l'avion, ce sera un sacré dépaysement au niveau du goût... mais je te laisse la surprise."

Et les voici parti... même si aucun des deux ne sait encore où le présent les mène.
Et pourtant... que les destin existe ou pas, l'avocat fera tout cette fois... tout sauf s'avouer vaincu et baisser les bras.