Elle me saoule cette luciole T_T

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[ Libre à tous ]

La nuit tombait lentement sur Tokyo, avec délicatesse, étendant son fin suaire de ténèbres sur la ville effervescente, baignant peu à peu le jardin Hamarikyu dans une lueur crépusculaire teinte de bleu et d’orange. Tout dans l’air était calme; les pelouses murmuraient sous un vent continu, les ailes se levaient dans un bruissement feutré et les pierres finissaient de refroidir, faisant disparaître les dernières parcelles de chaleur dont elle avaient été gorgées dans la journée par un soleil. Là-bas l’eau ruisselait, sereine, portant dans ses sillons hyalins la douce quiétude de cette journée tout à fait banale…
Rex avait passé la journée dans les transports en commun, profitant de son dimanche pour aller rendre visite à ses parents et à sa jeune sœur qui eux, habitaient encore en province. Il était assez tard quand elle était enfin revenue à Tokyo. La jeune fille était descendue à Shiodome et, n’ayant rien de particulier à faire durant la soirée, avait laissé ses pas la conduire un peu au hasard, errant en regardant le jour décliner. Elle était finalement arrivée à l’entrée du jardin Hamarikyu.

Mizu fouilla mécaniquement dans sa poche, en ressortit 300 yens, paya son entrée et pénétra dans le sanctuaire végétal qu’était ce magnifique espace où l’on entendait que le bruit d’un silence extrêmement reposant…fermant les yeux, savourant un instant ce moment de calme, la jeune fille s’élança sur un sentier couleur ocre que bordait une pelouse ondulante, délicatement dorée par la fauve couleur du soleil couchant. Sa courte robe rouge sans manches prenait des teintes sanglantes et de loin, on aurait pu la confondre avec un feu-follet écarlate virevoltant sur le chemin, car elle s’élançait joyeusement, comme revigorée. Même le poids de sa guitare, qu’elle portait dans son dos et dont elle ne se séparait jamais, semblait ne la gêner aucunement.

Elle n’avait pas mangé ce soir là, mais n’avait pas vraiment très faim. Bientôt une mélodie lui vint en tête, et Rex la fredonna du bout de ses lèvres vermeilles, doucement d’abord puis de plus en plus fort. Elle fit face à une étendue d’eau, son reflet se tordant dans la surface ondoyante; il bougeait tant, comme une flamme incarnate, qu’elle reconnaissait à peine sa propre image, ses cheveux de jais aux reflets de nuit d’orient, et son teint un peu pâle, ourlé de deux yeux noirs qui battaient fréquemment des paupières, comme la cape d’un coquillage fragile. Elle se sourit à elle-même puis quitta la berge jacassante du bruit des amphibiens pour regagner le sentier, en observant les alentours presque déserts. De rares personnes étaient encore présentes, des mères tenant leur fils par la main, des joggeurs avec leur chien ou des promeneurs solitaires, comme elle, en quête d’un peu de refuge. Elle adorait jouer sur scène, mais parfois un peu de calme, d’intimité, faisait beaucoup de bien.
Rex avisa un banc de pierre tavelée et s’y assit, réprimant un frisson quand le minéral anthracite entra en contact avec l’épiderme de sa cuisse nue. Une luciole ambrée vint voltiger autour de son visage, mais la jeune fille l’écarta d’un revers de main. En prenant tout son temps, avec des gestes posés, elle sortit sa guitare de son étui et la posa sur ses genoux; le bois chaud de l’instrument dans le soleil renvoyait des éclats chatoyants. Elle engagea une ou deux notes d’essai et bientôt ses doigts vinrent glisser sur les cordes vibrantes avec dextérité, propageant dans les airs une mélodie sereine, expressive, dont les trilles légères raisonnaient dans le jardin. Mizu ouvrit alors la bouche et entama doucement:

[ X ]

"Stripped and polished, I am new, I am fresh
I am feeling so ambitious, you and me, flesh to flesh
Cause every breath that you will take
When you are sitting next to me
Will bring life into my deepest hopes, what's your fantasy?"

Décidemment pas facile, facile cette arrivée à Tokyo ! Laura en avait plein les pattes de cette journée. D’abord le fou furieux de douanier qui avait confondu un visa touriste et un permis de séjour et ensuite sa chambre qui n’était pas prête pour son arrivée. Bravo l’organisation ! La seule chose positive c’était qu’après avoir fini son paquet de Camel - ce qui n’existait pas plus au Japon que les éléphants roses- elle avait réussi à mettre la main sur un paquet de Seven Stars qui avaient un goût tout aussi agréable. Du moins, elle méritait de remplacer sa chère marque européenne et faisait passer ses envies tout en lui permettant une mauvaise foi convenable.

Enfin, comme il n’y avait malheureusement aucune utilité à rester cloîtrée avec la tenancière de la pension pour qu’elle fasse partir les anciens locataires à coup de manche à balai, la jeune fille avait laissé ses affaires sur place et était partie se promener. Elle n’avait eu qu’une petite après-midi à consacrer à sa déambulation mais n’allait pas la perdre pour visiter un quelconque monument de l’Ere machin chose. Elle était donc partie se repérer dans le quartier, enfin essayer en tout cas parce que Tokyo ce n’était pas Paris, hein ! Et comme c’était logique sans plan, elle s’était pommée. Bon, pas complètement elle savait à peu près dans quel quartier elle avait atterrit. En tout cas, elle l’avait su quand elle avait vu le jardin Hamarikyu.

A partir de là plus besoin de se préoccuper de sa localisation GPS mais plutôt profiter du jardin. Il n’était qu’environ quatre heures et demie. Quand elle fût entrée, elle jeta son dévolu sur un petit banc non loin d’un sentier. Comme à son habitude, elle s’assit non pas sur mais à coté du banc en s’appuyant sur les pieds comme sur un dossier. En position fœtale, les oreillettes de son i-pod diffusant la musique calme de Tracy Chapman, elle regardait un sourire aux lèvres les couples et familles flâner devant elle. Deux ou trois mères de famille l’avaient regarder avec un regard outré auquel Laura mettait toute l’application du monde à répondre avec des yeux innocents accommodés d’un sourire poli.
*Elles ont l’air de trouver ça encore plus déplacer que celles de France* se dit Laura avec un rire qu’elle laissa éclater dans tout le parc.

A rester là, prostrée, sans rien faire, le sommeil la rattrapait au galop. Elle finit par enfouir son visage dans ses genoux pour dissimuler un bâillement et s’endormit sur place. On aurait dit une petite fille qui boudait et pleurait en attendant que sa mère lève sa punition.

Elle ne savait pas combien de temps s’était écoulé quand elle revint à elle. Sa musique s’était éteinte… elle devait être à cours de batterie. Par contre, elle comprit vite ce qui l’avait réveillée. C’était ces satanés batraciens ! Pour une parisienne de souche et fière de l’être, la ronde nuptiale des crapauds, ce n’était franchement pas terrible. Mais c’est qu’il est bruyant en plus, l’animal ! Heureusement qu’ils ont tous étaient exterminés par la pollution à Paris, déjà qu’elle était une grande accoutumée des nuits blanches !

En relevant la tête, la jeune fille s’aperçut que la nuit était déjà en train de tomber. Heureusement qu’il restait du monde pour qu’elle puisse demander son chemin. Une fille tout en rouge, prenait place sur le banc en face d’elle. Bon, c’est pas tout ça mais faut qu’elle retrouve la pension ! Tout en cherchant la motivation pour se lever, Laure regardait le manège de la jeune japonaise qui ne l’avait même pas remarquée. Et soudain c’était un son bien plus agréable qui remplaçait les croassements des verdâtres habitants de l’étang voisin. Une mélodie simple mais qui allait tellement bien avec ce moment de la journée où le soleil donnait rendez-vous à la Lune.

Laure se leva alors d’un coup et vint directement s’asseoir à côté de la jeune fille. Pas gênée pour deux sous comme elle sait si bien le faire, elle croisa les jambes et attendit la fin de la chanson, enthousiaste :

« C’est super joli ! »

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Le commencement d’un rêve…
Dans une bulle de savon, légère, qui monte vers l’infini. Une paroi élastique, transparente et diaprée du spectre des couleurs, à la lisière de sa conscience…c’est là que Rex était pour ne plus rien ressentir; se perde dans l’oubli, l’espace d’un instant; complètement coupée du monde extérieur, ne voyant plus ses lueurs et son air enflammé; plus rien ne comptait si ce n’était la chorégraphie hypnotique de ses doigts qui décrivaient des lignes, des torsades brunes et des éclairs étincelants sur les cordes frémissantes, pulsantes d’une énergie fantastique…un flux sur lequel la jeune musicienne voguait, savourant sur son visage la caresse iodée des trilles mélancoliques et des trémolos plaintifs, vibrants, dans sa chair et son être.
Vers la fin du morceau, elle s’éveilla un peu, comme on sort d’un profond sommeil avec des paupières embuées, regrettant déjà d’avoir quitté un univers fantasmagorique, un monde aux splendeurs insoupçonnées qui n’appartenait qu’à elle. Sa voix faiblit quelque peu. Elle avait convenablement accompagné la musique, mais son timbre n’avait pas autant de puissance et de prestance que celui de Seiren-dono, loin de là. D’un côté tant mieux, car le rêve de Mizu n’était pas d’être chanteuse, mais musicienne professionnelle.

D’un coup elle sursauta, sortant complètement de son univers à part, réveillée par une présence qui avait pris place à côté d’elle sur le banc. Effectivement, Rex ne l’avait pas vue arriver. Cependant avant même qu’elle ai pu placer un mot pour s’excuser de l’éventuelle gêne qu’elle aurait pu causer, l’inconnue la complimenta d’un air enthousiasmé. Le visage de Mizu, après une seconde, se fendit d’un grand sourire sincère et ravi, ce qui donnait à son teint un peu pâle l’impression de rayonner. Touchée par le compliment elle inclina légèrement la tête et s’exclama:

"C’est vrai ? Oh merci ça me fait vraiment plaisir !" Ce n’était pas la première fois que quelqu’un lui disait aimer sa musique, loin de là, mais c’était toujours une sensation merveilleusement bienfaisante lorsque qu’une personne vous le disait, et Rex accueillait les diverses éloges avec beaucoup de joie. Elle appuya avec le plat de la main sur l’ensemble des cordes pour faire stopper l’inertie du son et s’exclama:

"J’aime beaucoup Secondhand Serenade, mais je ne connais pas trop de partitions américaines ou européennes…" Tiens, en parlant de nationalité…Mizu prit une seconde pour détailler un peu son interlocutrice; on voyait au premier coup d’œil qu’elle n’était pas japonaise (en règle générale il y avait peu d’occidentaux à Tokyo si l’on exceptait les hordes de touristes affluant du monde entier) comme en témoignaient sa grande taille et la magnifique couleur dégradée de ses cheveux clairs, d’un chamois tirant vers le roux et devenant un peu plus sombre aux extrémités des mèches, qui s’accordaient d’ailleurs à l’havane profond de ses prunelles brillantes dans la teinte céruléenne de la nuit tombante. Son interlocutrice semblait être à peine plus âgée qu’elle, peut-être d’un ou deux ans; Rex observa un instant son visage aux traits fins et sourit: L’ensemble de son physique dégageait une fraîcheur naturelle toute européenne qui faisait plaisir à voir. La musicienne eut un peu honte de ne pas l’avoir remarquée avant; ce n’était pas très respectueux et cette jeune inconnue était pourtant belle ! Mais celle-ci semblait ne pas s’en être formalisée, ce qui rassura Mizu, qui se promis pourtant de se rappeler ultérieurement…qu’elle devait faire des efforts pour être moins dans la lune quand elle jouait de la guitare.
Oubliant bêtement que la fille à côté d’elle pouvait très bien être pressée de partir, elle déclara de nouveau, avec un geste de la main désignant son instrument:

"Tu veux que je te joues quelque chose en particulier ?"

Tournée vers sa musicienne d’un soir, Laure appréciait à sa juste valeur l’habileté de la jeune joueuse. Ses doigts couraient rapidement sur les cordes et sa voix bien qu’un peu juste pour une chanson pareille se mêlait merveilleusement avec le doux son de la guitare. Elle éclata d’un rire franc et joyeux quand elle vit la surprise de sa compagnonne. Elle ne savait pas se retenir de toute manière. Elle n’était tout de même pas si effrayante que ça même de nuit. La jeune japonaise devait être tranquille dans ses pensées la pauvre, Laura n’avait plus du tout envie de la lâcher maintenant. La joie de la guitariste remplaça instantanément sa stupeur :

"C’est vrai ? Oh merci ça me fait vraiment plaisir !"

Oui ! Une joie enfantine presque naïve et qui faisait plaisir à voir. Pourtant le compliment de notre jeune française n’avait rien d’exceptionnel. Sincère tout au plus mais c’était plutôt habituel chez elle. Enfin ça ne pouvait pas se deviner en la regardant. Laura le supposait en tout cas.

"J’aime beaucoup Secondhand Serenade, mais je ne connais pas trop de partitions américaines ou européennes…"

Amusée par la jeune fille qui lui faisait face, Laure appuya sa tète sur le bras qu’elle avait posé sur le dossier du banc. Faisant planer le mystère encore quelques instants. Exprès parce que l’autre semblait la dévisager.

« Je suis française, de Paris… Laure. »

Elle avait indiqué cela comme quelque chose d’exceptionnelle. En fait oui, elle avait envie de se sentir exceptionnelle, ce soir. Il ne fallait pas attendre que les autres soient d’accord avec vous parfois. Et puis, elle ne devait pas connaître tant de française que ça ! La jeune parisienne eu, à son tour, l’impression de sortir d’un rêve lorsque le son de la guitare s’arrêta net. Comme si on avait débranché des haut-parleurs. Un silence étrange et oppressant qui ne demandait qu’à être comblé. Laura remarqua que même les bruyants habitants du parc s’étaient arrêtés pour écouter la chanson trop courte. Elle les en remercier grandement d’ailleurs.

"Tu veux que je te joues quelque chose en particulier ?"

Hum… Cà, c’était une question qui demandait réflexion. Doit-on enfermer la créativité de quelqu’un pour que les autres prennent du plaisir. Mais le plaisir de l’artiste vient aussi du plaisir des autres… très philosophique tout ça. Laure aurait pu jouer ce jeu, chercher les quelques artistes du pays du soleil levant qu’elle connaissait et lui demander de jouer un de leur morceau. Mais non. Pas envie. Pourquoi ? Parce que c’était impossible d’apprendre à connaître quelqu’un comme ça. C’était la fille en face d’elle qui l’intéressait ses goûts à elle, elle les connaissait déjà. Enfin… non elle n’avait aucune lubies en ce moment. Et puis pas besoin non plus, il lui suffisait de recharger le petit gadget électronique qu’elle avait dans la poche pour réentendre les choses qu’elle connaissait déjà.

« Non surtout pas ! Je te laisse me faire découvrir d’autre chose. Je suis venue au Japon pour ça. J’ai pas l’intention de rester dans les carcans de ma petite famille bien européenne coincée. Montre-moi plutôt ce que tu aime toi. »

Toujours en gardant ce regard calme et amusée, Laure se rehaussa sur son assise et, comme une petite fille, regardait fixement sa nouvelle amie (ba oui déjà on va pas attendre le déluge) impatiente d’entendre à nouveau le son de son instrument.

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Depuis que la jeune inconnue s’était installée à ses côtés, Rex, emportée par son enthousiasme habituel et surtout encouragée par le compliment, s’était mise à parler mais n’avait pas laissé le temps à son interlocutrice d’en placer une. En vérité il arrivait rarement aux passants de s’arrêter pour la féliciter quand elle jouait en pleine rue; souvent ils se contentaient de la regarder jouer de loin, écoutant la fin de la musique sans rien dire et retournant, toujours muets, à leurs occupations, ternes pour la plupart, fatigués d’aujourd’hui et déjà mortellement ennuyés de demain…et c’était pour ça que la jeune fille voulait devenir professionnelle: pour que sa musique touche le plus de gens possibles, qu’elle les fasse rêver, s’évader…admirer…
La jeune fille en face d’elle semblait être plutôt amusée par son côté juvénile; mais Rex ne s’en formalisait aucunement, ce n’était pas son genre, de plus ce type de sentiment n’était pas méchant. Elle s’apprêtait à parler de nouveau, ses ongles jouant instinctivement sur le bois à la chaude couleur cuivrée de sa guitare, quand l’inconnue prit enfin la parole, après s’être laissée examiner. Elle avait une voix très agréable à entendre, avec un accent européen.

"Je suis française, de Paris… Laure." Le visage de Mizu s’éclaira de nouveau et ses lèvres vermillons s’étirèrent en un sourire ravi. Une française ! Une parisienne en plus ! La classe…L’étrangère ne l’ignorait sûrement pas, mais au Japon comme dans pas mal d’autres pays la France et sa capitale avaient beaucoup de succès. Tous les grands mannequins rêvaient de défiler à Paris et les musiciens d’être connus jusque dans cette ville de renommée mondiale – et Rex ne faisait pas exception à la règle. Elle regarda de nouveau sa jeune interlocutrice; si l’entretien continuait ainsi, allant de surprise en surprise, elle allait sûrement être comblée avant la fin de la soirée. Penant un ton joyeux, elle s’exclama, tout en essayant de ne pas déformer le nom de sa compagne par un accent Japonais:

"Enchantée de te connaître Laure ! Moi c’est Mizuhashi Rex…" Elle hésita un instant. Devait-elle dire elle aussi d’où elle venait ? "du cap Soya…" ajouta t-elle en pensant que le nom, beaucoup moins classe que celui de Paris, ne devait pas dire grand-chose à Laure puisqu’il s’agissait d’une sous-préfecture très loin de Tokyo, tout au Nord d’Hokkaido, où la seule curiosité locale était la visibilité de Sakhaline par temps clair… "Tu peux m’appeler Rex ou Mizu. Ca veut dire « eau ». J’espère que tu te plaît au Japon !" Hé oui, car parfois il était assez dur pour les étrangers de s’adapter au mode de vie nippon, de manger des œufs au petit déjeuner ou encore du riz cru pour le dîner…sans compter les nombreux aspects quotidiens de la vie qui avaient traits à la politesse ou au respect. Mais le Japon regorgeait de magnifiques facettes et avait des mœurs très intéressantes et raffinées. Rien que sa langue donnait à sa musique un style particulier et extrêmement agréable quand on savait l’apprécier; à l’instar de sa culture, ses temples, ou même ses vêtements si caractéristiques.
Quant le silence fut retombé sur le parc, on n’entendit tout d’abord plus rien, puis le coassement des batraciens, qui avaient été dérangés par l’aria de Rex, reprirent, emplissant l’air ambiant d’une atmosphère de marécage. On aurait dit d’ailleurs des dizaines de rires ironiques qui se moquaient de la situation. La jeune musicienne le remarqua à peine et prit une position plus confortable, posant une partie de sa cuisse sur la pierre froide du banc (en prenant garde toutefois à ne pas dévoiler tous les mystères du dessous de sa robe xD) tandis que Laure répondait à sa question. La réaction de celle-ci la fit rire.

"Oui, tu as raison ! ^^ Alors, laisse moi réfléchir…il y a tellements de styles différents…pour ma part j’aime tous les types de musique. Tiens, je vais jouer Life, de Yui Horie. Cette fille est connue, elle a fait des génériques et des voix pour les animes" déclara Rex en saisissant sa guitare. Elle fit un ou deux accord pour s’orienter et joua de nouveau, sincèrement, profondément, emplissant le parc d’un mélodie de J-pop qui fit taire aussitôt les grenouilles de l’étang, qui crevèrent la surface liquide avec un bruit d’éclaboussure.

[ X ]

Elle trouvait cette chanson très expressive et s’appliquait à mettre autant de sentiments dans sa voix que la chanteuse originelle l’avait fait. En fait elle était déjà repartie dans son univers, chantant assez fort de façon à couvrir le bruit de sa guitare, en battant la mesure du pied avec une oscillation régulière de la tête, ses mèches noirs voltigeant autour de son visage.
Quelques minutes plus tard, la musique cessa, et Mizu regarda de nouveau Laure avec un sourire.

"Tu connais la chanteuse Yûko Shirase ? Je suis une de ses musiciennes."

Laure détestait par-dessus tout, les gens ennuyeux qui ne faisaient que s’attarder sur leurs problèmes. Les artistes écorchés qui ne faisaient de la musique que pour eux, pour sortir de leurs difficultés et pensaient que parce qu’ils y mettaient de l’émotion tout le monde devait les comprendre. Est-ce que c’était différent au Japon ? En tout cas, l’artiste à qui elle faisait face était différente… Quand elle jouait elle avait l’air heureuse mais pas seulement pour elle. Et c’était exactement pour ça que la jeune fille l’avait rejoint sur son banc. Son interlocutrice était naturelle. Un détail, une bêtise ? Non pas pour Laure, c’était le B-A-BA de la personne à fréquenter, une qualité absolument indispensable.
Elle ne put s’empêcher d’éclater de rire en entendant la jeune musicienne essayer de prononcer son nom. Elle ne voulait surtout pas la froisser mais « Laure » à la japonaise ça donnait quelque chose de totalement… hilarant et ridicule !!! Bon vite un substitut… elle réfléchit quelques secondes avant de reprendre :

« Désolée mais ça ne va pas le faire Laure… Si tu veux, Mizu-chan, mon deuxième prénom c’est Olivia. Tu peux m’appeler ‘Livia ce sera plus facile à prononcer, non ? »

Bon par contre, il fallait qu’elle se souvienne de chercher où pouvait bien se trouver le Cap Soya. Par curiosité. Et surtout parce qu’elle comptait bien revoir cette fille et qu’elle n’avait aucune idée d’où diable elle pouvait venir ! ‘Livia n’était déjà pas callée en géographie française alors celle du Japon. En fait, avant d’apprendre qu’elle allait à Tokyo elle s’en tamponner royalement le coquillard !

« J’espère que tu te plais au Japon ! »

Pourquoi est-ce que cette phrase faisait toujours plaisir à entendre ? Et surtout pourquoi tout le monde l’utilisait ? D’accord, de Mizu la question ne la dérangeait pas outre mesure, mais c’était tellement conventionnel. Pas de quoi se mettre de mauvaise humeur mais la française aurait envoyé valser n’importe qui d’autre. Et bien comme il faut, histoire que le pays entier n’ose plus lui ressortir ces débilités.

« En fait je suis arrivée seulement aujourd’hui et j’ai juste eu le temps de me perdre dans Tokyo pour le moment alors … oui ça se passe super bien ! En espérant que je retrouve ma chambre avant demain soir bien sur ! »

‘Livia ? Inquiète ? Vous plaisantez j’espère ! Elle pouvait passer sa nuit dehors toute seule en pleine banlieue… A Tokyo au moins il y avait du monde dans la rue, de l’animation. Même si ce n’était pas le comportement le plus sécurisant qu’il soit, c’était sa façon de s’éclater et de se mettre en danger. En tout cas ça évite de payer 200€ pour sauter d’un avion en plein vol et ses parents l’en remercient encore.

Quand la musique se répandit à nouveau sur le parc, ‘Livia se laissa complètement emportée par celle-ci. Elle vivait presque constamment la tête entre ses écouteurs mais avoir un véritable musicien à côté de vous et sentir les efforts de sa voix pour vibrer dans sa poitrine c’est quand même autre chose. Elle avait l’impression de respirer la musique mélangée à l’air qui l’entourait. Mizu ne semblait pas s’en être rendue compte mais elle était vraiment douée pour communiquer ses sentiments. En tout cas, elle, elle les ressentait sans problème.
Encore une fois, la magie s’arrêta. Encore une fois, elle dut s’extirper à grand peine de ce monde créé par une simple guitare et la jeune fille qui la tenait entre ses mains. Elle se raccrocha alors au sourire de Mizu qui lui semblait être comme un passage vers ce demi sommeil qu’elle venait de quitter.

« Je la connais de nom, j’ai lu quelque chose sur elle dans un magazine de l’avion, je crois… Mais les artistes japonais ne sont pas souvent connus en France, malheureusement. »

Elle jouait déjà pour une artiste connue ? ‘Livia, pour la première fois, se sentie un peu jalouse. Mizu avait commencé à réaliser son rêve alors qu’elle n’avait que quelque bout de papier. Elle se dépêcha d’abandonner cette pensée avec un léger pincement au cœur.

« Tu travailles avec elle depuis longtemps ? »

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D’un air intéressé, Rex écouta Laure lui répondre, décrétant qu’elle venait tout juste d’arriver au pays et qu’elle n’avait guère eut le temps de faire plus que de se perdre jusqu’à maintenant. Ah, c’était donc ça qui l’avait amenée dans ce parc ! Il est vrai que le tout premier jour dans une nation étrangère pouvait paraître franchement déroutant, mais la jeune Française était bien tombée: le jardin Hamarikyu était un modèle dans son genre. On y faisait parfois des rencontres fort intéressantes, la preuve ! Mizu y venait souvent, quand elle avait un moment de libre, en quête d’un peu de repos. Et visiblement elle avait eu raison d’y faire un tour ce soir !

"Ah, donc tu viens de découvrir Tokyo…tu verras, le Japon est un pays…" elle hésita. La tradition aurait voulu qu’elle dise « magnifique », mais ce n’était pas entièrement vrai; beaucoup de facettes peu reluisantes demeuraient cachées dans l’ombre, comme partout. Après une seconde de silence, elle décida de donner son propre avis. "...spécial. Il ne faut pas croire qu’il est parfait, car chacun possède ses défauts, mais beaucoup de choses y sont si belles et particulières qu’on ne les trouve nulle part ailleurs…enfin, tu verras, on s’habitue vite ^^ Si tu as quoi que ce soit à me demander, n’hésite pas ! Je peux t’aider à retrouver l’endroit où tu loges si tu veux."

Les doigts jouant vaguement sur le manche oblong et cuivré de sa guitare, Rex vit Laure éclater de rire quand celle-ci entendit son nom prononcé à la Japonaise. Effectivement cela lui donnait une drôle de sonorité qui avait plutôt l’aspect d’un exercice de diction…Il valait mieux, dans un soucis de facilité, utiliser « Olivia » qui d’ailleurs était aussi un beau prénom, tout en reflets européens. Le rire de Laure était communicatif, cela fit rire la jeune musicienne également, et leurs hilarités aux sons cristallins firent se retourner les rares passants encore présents dans le jardin Hamarikyu, qui commençait d’ailleurs à sérieusement se vider en raison de l’heure tardive. A présent la nuit tombait véritablement sur la métropole tokyoïte, plantant ses camps d’ombres lamés de reflets de lune, installant dans l’air une faible mais bien présente humidité presque pulvérulente, au grand ravissement des batraciens qui s’ébattaient avec joie pour leur parade nuptiale dans un concert de bruits d’éclaboussement.

Le manteau obombré, qui s’installait peu à peu en environnant les deux jeunes filles comme une sœur aimante, avait un on ne savait quoi de neurasthénique, pas du tout désagréable. La musique était certes une chose, mais l’atmosphère dans laquelle on la produisait y était pour beaucoup; et dans cette ambiance lustrale, il aurait été facile de se laisser dériver vers le paroxysme des trémolos vibrants, des arabesques et des trilles mélancoliques…Et c’est exactement ce qui arriva quand Rex se mit à jouer de nouveau, battant distraitement la mesure avec son pied tendu, ne se concentrant que sur les circonvolutions et les girations de ses doigts pâles à la couleur d’ossements.

"C’est vrai, c’est dommage" répondit-elle quand la mélodie se fut arrêtée. "Mais souvent l’inverse se produit également, les musiques françaises ne sont pas très connues au Japon. Pourtant certaines sont très belles." Mizu fit une pause, le temps de réfléchir à la précédente question de Laure. Depuis quand elle travaillait pour Seiren-dono ? "Ca doit faire environ un an, je crois estima t-elle. Ca a été comme une sorte d’envol pour moi. Je pense qu’en fait, dans la vie chacun prend le sien, mais à des moments différents."

De l’index, Rex dessinait des torsades invisibles sur la chaude couleur du bois de son instrument. Elle repensa un instant au rire de sa nouvelle amie et une idée lui traversa la tête. Elle se redressa, s’exclamant:

"Olivia-dono, tu as une très belle voix ! Tu voudrais essayer de chanter sur un de mes airs ?"

[ Désolée c'est un peu court et vraiment pas terrible Elle me saoule cette luciole T_T 756846

, je me rattraperai après mon concours promis !!! ]

Plus elle discutait et plus Livia sentait son cœur léger. Rex avait beau la prévenir des mauvais aspects du Japon, ce pays lui semblait incarner la liberté à laquelle elle avait toujours aspirée, et par là même être le plus merveilleux qu’il soit. Les petites contrariétés, elle verrait plus tard. De plus, elle n’avait pas à se plaindre de l’accueil et l’aide proposait était vraiment la bienvenue. Elle l’accueillit d’ailleurs avec un sourire radieux, celui qu’elle ne sortait que dans les grandes occasions ! Celui qui était de circonstance vu sa rencontre pleine de surprise.

« Avec joie, merci beaucoup ! On pourra passer par un magasin, je t’offrirai à boire pour te remercier. »

Elle ne savait pas trop si cela se faisait ici, d’inviter des gens comme ça, que l’on venait à peine de rencontrer… et à la réflexion elle s’en fichait totalement. Les convenances ne l’avaient jamais vraiment perturbée et n’allaient surtout pas l’importuner cette nuit.
Entourée d’un voile noir, elle ne se préoccupait même plus de ce qui l’entourait. A en oublier ses bruyants amis de l’étang ! Mais le petit banc sur lequel elle était assise lui apparaissait maintenant plus comme un nuage près à l’emmener vers une nuit inoubliable. Le timbre de la guitariste lui paraissait plein de chaleur et de générosité. Qu’elle chante ou qu’elle parle, elle donnait l’impression que sa gentillesse entrait en vous comme une douce boisson chaude après une randonnée dans le froid de l’hiver. Ses notes chaudes distillaient des parfums de chocolat chaud et son rire sonnait comme le gâteau à la cannelle qui allait avec.
Sa vision optimiste de la vie aussi faisait du bien. A entendre. A dire peut-être aussi. Mais surtout elle donnait envie de croire. Croire que oui, tout le monde se jeter un jour du nid sans s’écraser plus bas. Livia devait déjà s’être blessée une fois mais comptait bien réessayer encore et encore. Même si ça devait être plus tard … le temps ne comptait pas vraiment dans les rêves…

Plus que l’idée qui lui parut aussitôt étrange, ce fut la particule qui accompagnait son prénom qui estomaqua Olivia dans les paroles de la musicienne. Bon d’accord elle était française mais de là à ce que les gens l’appelle « -dono » elle ne s’y attendait pas. C’était vraiment honorifique, un respect auquel elle n’était pas habituée. Livia laissa pourtant couler, peut-être que c’était un peu tôt pour que Mizu l’appelle par son prénom après tout. Elle prit donc un air mystérieux pour se donner le temps de considérer l’autre moitié de la question :

« Euh… Je n’ai jamais pris de cours de chant mais je peux essayer… si tu y tiens. Mais pas ici, les gens vont nous virer sinon ! »

Elle rit. L’autodérision, c’était facile. Il n’y avait d’ailleurs que celle-là qu’elle acceptait. Les autres n’avaient pas à pointer ses défauts si elle ne les y avait pas autorisés au préalable ! Revigorée, elle se leva, passant la bandoulière de son sac par-dessus sa tète et tendit la main à son amie pour l’inviter à faire de même.

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De son côté, Rex accueillit la proposition de Laure avec joie: en effet elle était ravie d’avoir l’occasion de discuter un peu plus avec cette jeune française, qui s’avérait vraiment très sympathique et dont, de plus en plus, la musicienne avait envie de faire la connaissance. Olivia semblait être une femme avec des convictions, au caractère complexe, profond et très intéressant, qui semblaient se moquer des conventions et mépriser la tradition. De plus elle était d’ouverte d’esprit, cela se voyait sans peine, et Rex présumait qu’elle pourrait lui parler de sa musique sans que cela ne la dérange aucunement. On ne tombait pas souvent sur des gens comme ça de nos jours, même dans le milieu artistique; des gens qui ne soient pas pressés, stressés et solitaires, hâtés par les heures et toujours en retard, peu disposés à adresser la parole aux plus parfaits inconnus…était-ce parce qu’elle venait de France ? Les étrangers étaient-ils bien plus tolérants que les Japonais ou tout simplement, plus « vrais » ?
La musicienne ne le savait pas, mais elle reçut donc la proposition avec enthousiasme, car elle commençait également à avoir un peu soif et son appartement en plein cœur de Shinjuku était à une bonne vingtaine de minutes de métro d’ici.

"Bonne idée ! ^^ Il y aura sûrement un conbini ou un distributeur sur le chemin. Au fait, tu loges où ?" Saisissant avec plaisir la main de Laure, Rex se leva à son tour, quittant le petit nid de rêve qui avait été le leur pendant quelque minutes, et qui reprit aussitôt son aspect banal de banc en pierre, un parmi tant d’autres, dans ce parc environné d’obscurité et maintenant vide des personnes qui y occupaient encore une vague place de figurants quelques instants auparavant. La jeune musicienne rajusta son sac à dos noir en toile sur une épaule et prit sur l’autre son étui à guitare vide, avec l’instrument en question bien calé dans ses bras. Ensemble, dans le concert de sonorités saugrenues des batraciens, les deux nouvelles amies se mirent en route, leurs semelles produisant un léger crissement sur les cailloux ocres et fins du chemin. Dans la nuit tombante, à présent presque tout à fait installée, les buildings se dressant derrière le jardin Hamarikyu dessinaient des silhouettes immenses, menaçantes, comme un animal tapi dans l’ombre.
Elles se dirigèrent vers la sortie, les ténébreux cheveux de Rex voltigeant dans son sillage tandis qu’elle avançait d’une démarche dansante, jetant de temps en temps un coup d’œil furtif au corps mince et galbé d’Olivia. Elle remarqua un collier en hématite d’une magnifique couleur chatoyante. La jeune française avait sans conteste un style vestimentaire peu courant, et très personnalisé.

"J’aime bien comment tu t’habilles…c’est toi qui as fait tes vêtements ?" Sa nouvelle compagne semblait avoir été surprise par l’appellation « dono ». A vrai dire, Rex n’avait pas du tout eu l’intention de mettre une distance entre elles, ni même de décréter qu’il était encore trop tôt pour qu’elles soient familières l’une envers l’autres; mais il lui arrivait assez souvent d’ajouter ce suffixe même à des noms de personnes proches, tout simplement parce qu’elle mettait de côté la dimension très polie de cet ajout et ne gardait que la partie qui clamait: « je te respecte, je t’admire ». En effet, Rex ne connaissait pas Laure depuis très longtemps, un peu plus d’une dizaine de minutes en réalité, mais la jeune femme lui avait vraiment fait très bonne impression, et outre le fait qu’elle enviait son côté « étrangère qui a la classe », la musicienne la respectait beaucoup, car elle sentait qu’il s’agissait d’une personne naturelle, capable, épurée et pourtant si particulière…en somme un être un peu à part.

"Merci, ça me ferait vraiment plaisir ^^ Je trouve que ton timbre de voix un peu Français fait très joli. Je suis sûre qu’après quelques essais je pourrais te créer ou te trouver une mélodie capable de porter la particularité de cette voix à son paroxysme. On a pas forcément besoin de cours de chants tu sais ^^ Je pense que tu as un registre plutôt large, ça n’ira pas avec n’importe quel air mais c’est au musicien de réajuster cela, toi tu as juste à chanter ce qu’il te plaît, comme tu l’entends ^^ L’important après tout dans la chanson, c’est aussi le naturel…" Les deux jeunes femmes avaient atteint la sortie et se retrouvèrent bientôt dans la rue illuminée bondée de voitures, loin de la pénombre reposante du jardin, dans un jour perpétuel et artificiel dispensé par des néons jaunes, rouges ou bleus, dans un formidable arc-en-ciel clignotant. Certes le calme de Hamarikyu ne valait pas la peine d’être troublé mais à l’extérieur les choses n’obéissaient pas forcément aux mêmes lois.

"Tu es pressée de rentrer ou tu veux d’abord faire un essai ? ^^ Parce que sinon je pense qu’on pourrait trouver un coin tranquille du côté de la Baie. A Tokyo il fait nuit plus tôt qu’en France mais la ville ne dort jamais. C’est comme un immense cœur qui bat tout le temps."

[ Voilà désolée pour le retard ^^ ]

« J’ai une chambre à la pension Izumo. J’ai déjà vu des distributeurs sur le trajet cette après-midi mais j’ai pas du prendre le chemin le plus court pour arriver jusqu’ici… donc bon. » répondit Olivia en se retournant sur le jardin.

Elle respira un grand coup pour s’imprégner une dernière fois de cet air doux où se mélangeaient les parfums du typique jardin japonais. Elle en profita d’ailleurs pour se jurer de revenir quand elle aurait besoin de se reposer. Pour elle qui était comme une sorte de perpétuel feu d’artifice, un havre de paix n’était pas de refus. C’était même étonnant et inespéré de l’avoir trouver si vite dans une ville si grande.

Un sourire de zenitude absolue se peint sur son visage aussitôt rejoint par ce regard pétillant de malice et de mystère qui caractérisé ses moments d’enthousiasme. Elle emboîta le pas à Rex se sentant légère, portée par la petite brise qui s’était levée en même temps que la nuit. Sur leur chemin, on percevait de temps en temps la rumeur des rues de la mégapole toujours brûlantes qui tentait misérablement de percer le lourd silence de la nature. Elle savait qu’elle retournait dans son élément. Livia sentait cette vie agitée qu’elle menait depuis son enfance, qui trépignait en attendant que la jeune fille veuille bien à nouveau lui lâcher la bride. La question de Rex interrompit ses pensées.

« Oh, merci ! Oui, enfin, il n’y a que ceux-là que j’ai vraiment faits toute seule pour le moment mais mon rêve est de devenir styliste même si je n’ai pas encore assez de modèles. En tout cas, vraiment, merci encore, Mizu-chan ! »

Livia avait à peine finit de parler qu’elle se jetait littéralement sur Rex pour lui appliquer un baiser sonore sur la joue la plus proche. Ce genre de réaction en avait déjà fait fuir plus d’un mais Livia ne s’était jamais arrêtée sur les abrutis incapables de se donner un minimum en public. Tout aussi soudainement qu’elle était arrivée sur la pauvre musicienne japonaise qui n’avait pas trop du comprendre ce qu’il lui prenait, elle se remit en marche comme si de rien n’était pour atteindre finalement les portes du jardin.

La transition fut assez violente car comme Mizu était en train de le dire la capitale ne dormait jamais et Laure venait de prendre cette vivacité en pleine face. Adieu les batraciens et la semi-obsurité, bonjour les klaxons et les lumières qui clignotent de partout ! Au moins la jeune française ne se sentait pas dépaysée… elle sortait d’un jardin de Tokyo et pas un parc de Paris mais à part ça… les Japonais semblaient juste avoir appris à traverser aux feux.

« Je te fais confiance, c’est toi qui t’y connais en musique ^^ »

C’était vrai, après tout, Livia était déjà prête à suivre Rex les yeux fermés. Que ce soit pour la musique, dans Tokyo ou tout autre chose d’ailleurs. Oui, oui elle avait déjà entendu ça cent fois : Ca lui apporterait des ennuis. Tant pis, de toute façon, Mizu n’avait pas l’air d’être le genre de personne à s’attirer des problèmes non plus.
Elle jaugea son amie quelques secondes pour réfléchir à sa proposition. Il était clair qu’en regardant autour d’elle, elle n’avait pas envie de rentrer et puis elle n’avait rien à faire demain. Se présenter à la « fac », n’était pas vraiment dans ses priorités…

« Ok je te suis, on trouve à boire et direction le port ! »

Invité

[ Mais aucun problème Olivia^^ ]

A l’extérieur du parc Hamarikyu, la nuit venait juste de commencer, et avec elle l’effervescence qui lui était caractéristique, les boites de nuit, les jeunes traînant en bande jusqu’à l’aube, les cafés débordant de bruits, de sons et de couleurs…Seul vestige du jour, le soleil dessinait tout au sommet des buildings un liseré irridescent, qui finit par disparaître, noyé dans la lumière jaune des néons. Sur une place, un écran gigantesque diffusait un programme télévisé, avec une jolie présentatrice kawai pour les infos. C’était Tokyo, dans toute sa splendeur battante et sulfureuse, dans son cœur immobile et pourtant mouvant, inaltérable, où les centaines de cellules se bousculaient sans cesse pour gonfler chaque veine, chaque artère, et chaque jour de la vie…
Un peu noyée tout d’abord dans ce capharnaüm étourdissant, qui contrastait fortement avec le calme reposant du jardin, Rex et Laure s’engagèrent sur l’avenue. La jeune musicienne écouta sa toute nouvelle amie lui répondre, celle-ci décrétant qu’elle logeait à la pension Izumo. Mizu connaissait cet endroit; c’était un lieu confortable dans Meguro où elle avait logé les premiers temps de son arrivée à Tokyo, avant que son entrée dans la troupe de Seiren-dono ne lui permette de déménager ailleurs.

"Ah, j’y ai habité quelques temps aussi ! ^^ C’est un bel endroit, je penses que tu t’y plairas." Mizu eut un sourire à ces paroles, mais quand elle entendit la suite des propos de Laure, elle ouvrit des yeux impressionnés. Ainsi, c’était bien la jeune française qui avait créé ces vêtements ! Ils étaient parfaitement ajustés à sa taille, cousus avec une précision de professionnelle et complètement accordés à l’ambiance générale qui se dégageait de sa personne. Et elle voulait aussi devenir styliste ? Rex trouva que c’était une ambition magnifique; elle même adorait les beaux vêtements, qui savaient la faire rêver, et être connue comme styliste ou musicienne, dans un milieu artistique, finalement cela pouvait se rapprocher. Enthousiasmée, Mizu bondit en même temps que Livia et la serra dans ses bras quand celle-ci lui déposa un baiser sur sa joue pâle. Pas gênée pour un sous, elle joignit les mains, manquant de faire tomber sa guitare au passage, dans un geste de joie et de détermination.

"Tu y arriveras, j’en suis sûre, Olivia-dono ! Ca ne doit pas être facile de se faire un nom dans le milieu, mais tu as l’air d’avoir beaucoup de volonté, de passion et de talent. Ton style est très intéressant ! En tout cas tu as tout mon soutien ! Tu fais une école d’art ? Au Japon il y a souvent beaucoup de concours d’entrée qui sont assez difficiles, et des fêtes de fin d’année où les stylistes en herbe doivent présenter leurs créations." Bon, voilà encore une raison pour l’appeler « dono » ! Laure, qui y était déjà haute, grimpait de plus en plus dans l’estime de Rex. La jeune fille pensa qu’elles se ressemblaient un peu, toutes les deux, par ce qu’elles cherchaient. Elle lui tendit son petit doigt, geste qui au Japon scellait une promesse, et expliqua:

"Mon rêve à moi, c’est de devenir musicienne professionnelle. Je voudrais que ma musique puisse faire rêver les gens, leur faire prendre conscience de leurs propres qualités…Et qu’on se souvienne de mon nom en parlant de moi comme quelqu’un qui a un peu marqué son époque. Olivia-dono, jurons-nous que nous n’échouerons pas, que nous irons au bout de nos rêves, l’une comme l’autre…" C’était très osé ce qu’elle lui demandait là, et très malpoli si on prenait en compte les lois morales Japonaises, mais Rex avait dit cela sur un coup de tête; et puis elle ne le regrettait pas vraiment, elle savait qu’avoir des objectifs était quelque chose de fort, et Laure pourrait être sûre qu’elle aurait tout le temps le soutien de Mizu, même dans les moments difficiles.
Les deux jeunes filles, qui avaient parcouru une centaine de mètres, trouvèrent un distributeur qui luisait dans le clair obscur des rues animées. La musicienne se pencha sur les produits pour les examiner, se demandant ce qu’elle allait prendre; au Japon les boissons en canettes étaient proportionnellement beaucoup moins chères qu’en France, c’était déjà ça…et on y trouvait même du café.

"Je pense que je vais prendre un jus de fruits ^^ Et toi ?" En se penchant elle voyait dans la vitre leurs deux reflets, l’un plus petit aux cheveux longs et noirs, l’autre plus grand, courts et blonds. Très différentes, mais amies, c’était cela qui comptait.

"Alors, laisse moi réfléchir…il faudrait que je trouve une belle mélodie pour toi^^ Mais il faudrait aussi que tu connaisses les paroles…Dis-moi, qu’est-ce que tu aimes chanter ? Ou qu’est-ce que tu connais comme paroles de musiques Japonaises ? Ou bien Européennes, j’essayerais de m’adapter et d’improviser !"

Baie de Tokyo