Acte2 [PV]

Morbid Angel

*Aaaah Tokyo est géniale ! En plus, être une étrangère ne pose pas de problème pour s’éclater, c’était bien l’essentiel.*

C’est dans cet état d’esprit que Livia rentrait à son petit appartement après sa soirée au Morbid Angel. Elle y était restée, en bonne fêtarde, jusqu’à la fermeture. Il était maintenant environ sept heures du matin et heureusement qu’elle ne devait pas aller en cours sinon elle n’aurait fait que dormir sur sa chaise. Pas que ça la dérange particulièrement d’habitude mais les profs faisaient toujours la tête après.

La jeune française remarqua sur le parking de la pension une magnifique 4x4 comme elle les aimait. Imposant, un peu tape à l’œil mais assez anonyme avec sa couleur noir et ses vitres teintées. Pas vraiment une voiture qu’elle aimerait conduire mais toujours un siège passager extrêmement confortable. Et puis le lever de soleil sur la carrosserie sombre ne gâchait rien au spectacle.

‘Livia s’amusa à parcourir les quelques mètres qui la séparaient encore de la porte de son chez elle en suivant les lignes du trottoir. Exercice simple qui se transforma plutôt en une piteuse pitrerie quand la jeune femme se rendit compte que la soirée avait été un peu trop arrosée pour encore marché sur sa poutre improvisée. Heureusement, aucune voiture ne passa dans la rue et ce fut encore entière qu’elle ouvrit la grande porte d’entrée de la pension.

Le hall était chaleureux, accueillant et depuis qu’elle était arrivée, Livia était persuadée que le ou la propriétaire des lieux était un ou une adepte du Fen Sui avec ses innombrables plantes et sa poubelle planquée derrière un meuble… enfin la déco restait sympa alors passons sur l’obsessionnelle du rangement.

Elle retira le plus rapidement possible ses chaussures (Tout le monde met des chaussures a talon en soirée mais pourquoi Diable était-elle aussi maso que les autres ?) puis se dirigea négligemment vers le couloir qui menait aux escaliers qui eux mènerait jusqu’à sa chambre au deuxième étage. Ce couloir blanc où était entreposées les boites aux lettres des locataires qui serait si glauque sans le petit tableau portrait d’un illustre inconnu aux yeux de Livia qui tentait désespérément à lui tout seul de donner un peu de couleur au mur d’en face.

Un homme était d’ailleurs en train de ramasser son courrier quand elle passa. Bizarre, elle pensait être la seule à rentrer à une heure pareille. Un japonais un peu plus vieux qu’elle, pas mal au demeurant, d’ailleurs sa tête lui disait quelque chose. Sa carrure aussi, un japonais aussi grand, elle n’aurait pas pu l’oublier aussi facilement mais pas possible de mettre le doigt sur l’endroit où elle l’avait déjà vu. A la pension peut-être ? Non, il avait beau habité ici, elle ne l’avait encore jamais vu…

Tout à sa réflexion, la jeune française avait doublé le jeune homme et aller quand même monter jusqu’à son appartement. Olivia s’arrêta brusquement sur la première marche de l’escalier, un éclair venait de traverser son esprit- quelque peu embrumé.

« Hey ! Mais c’est toi qui m’as bousculée tout à l’heure au Morbid ! Bah voilà je t’ai retrouvé alors maintenant je veux des vraies excuses ! »

La jeune fille s’était rapidement retourné en criant vers l’inconnu derrière elle en le pointant impoliment du doigt. Elle était plantée au milieu des premières marches de l’escalier ce qui l’empêchait plus ou moins volontairement de passer outre la remarque de la jeune femme. Malgré son ton accusateur, le visage d’Olivia était parfaitement calme arborant même un sourire satisfait et charmant comme si le fait de se souvenir d’un homme qui vous a bousculé était un exploit tout à fait rarissime.

« Au fait, ici je m’appelle Olivia. Et toi ? »

Pas loin de trente-six heures que Shinji n’avait pas pu rejoindre l’impersonnel appartement qui lui servait de cocon protecteur. Trente-six longues heures à courir entre Meguro et Shinjuku, à apparendre mauvaise nouvelle sur mauvaise nouvelle et à réparer les erreurs de ses employés. Trente-six épuisantes heures qui avaient fini d’envoyer sa – bien maigre – patience aux orties.

Trente-six heures qui ne pouvaient mieux se conclure que par l’épluchage en règle des factures qui l’attendaient dans la boîte aux lettres.
Merveilleux… Il crevait d’envie, rien que d’y penser.
Ou il en crevait tout court. C’était bien possible après tout.

Alors quand cette parfaite inconnue s’interposa entre lui et son futon sans plus de cérémonie, aucune surprise à ce que Shinji lui décoche un regard noir, limite assassin. Il n’avait pas le temps de jouer au baby-sitter avec une fille qui – d’une – ne lui rappelait absolument rien (c’est qu’au Morbid, il en bousculait des gens pendant ses allées et venues) et qui – de deux – avait l’air assez éméchée pour l’avoir suivi jusqu’ici.

- Rentrez chez vous, vous ne tenez même pas debout.

Chez n’importe qui d’autre, la remarque aurait pu paraître… bienveillante, altruiste. Mais Shinji n’était pas n’importe qui. D’ailleurs, le visage du japonais se tordit en une grimace de dégoût, signe s’il en fallait encore que Shinji était allergique aux rapports humains.

- Et profitez-en pour libérer le passage, ajouta-t-il avec son tact légendaire.

En quelques pas, il était face à elle, les effluves d’une soirée bien arrosée plus perceptibles que jamais. Même ainsi, il était plus grand qu’elle, et opposant un visage neutre à son sourire de gamine, il posa une main sur l’épaule de la jeune fille, bien décidé à rejoindre le plus vite possible son lit, quitte à déblayer le chemin lui-même.

- Au fait, ici je m’appelle Olivia. Et toi ?

Ici ? Un sourcil s’arqua, plus moqueur qu’interrogatif.
Parce qu’après tout, il se moquait bien qu’on l’appelle Olivia, qu’on l’appelle comme ça ou ailleurs.

- On ne m’appelle pas.

Et au revoir.

Bon d’accord même dans Olivia et même dans cette état là pouvait comprendre que son introduction n’était pas très… disons très délicate, mais franchement c’était pas la peine d’être aussi désagréable ! C’était peut-être même la pire erreur qu’on puisse faire face à une petite emmerdeuse française à moitié saoule ; exactement l’état de Livia à cette instant précis. En somme, le pauvre japonais qui lui faisait face ne devait pas encore savoir à quel point ce pouvait être jubilatoire d’embêter le plus innocemment du monde quelqu’un qui refuse de s’excuser.

Pas impressionné le moins du monde par la stature de l’autochtone qui lui faisait face, la « petite » française ne se départit pas de son sourire bon enfant. Un sourire tellement travaillé qu’il était devenu tout naturel quand elle passait en mode « garce casse-pied » et qui avait le don d’énerver ce dont elle se jouait en général.

« Ne soyez pas aussi impoli voyons ! Je me suis cassez la figure sur le bord du trottoir donc c’est vrai que mon équilibre est un peu mis à mal mais je tiens parfaitement debout et je sais même encore ce que je dis et fais ! »

Le ton était sec mais sans aucune animosité. Il allait l’amuser sans le savoir mais ce n’était jamais méchant avec elle. Elle réfléchit quelques secondes, dégagea son épaule de la légère étreinte –d’ailleurs plus ou moins menaçante- puis remonta une dizaine de marche des escaliers puis se retourna à nouveau vers lui.

« Je rentre chez moi justement ! Ce n’est pas ma faute si je suis moins pressée que vous et que vous prenez le même chemin. »

La jeune fille pencha la tête au maximum sur le coté, se retrouvant quasiment au niveau de ses genoux pour lire l’adresse sur les enveloppes que son interlocuteur tenait encore a la main. Tout en Kanji, bah c’est d’un pratique ! Mais au moins elle pouvait lire le prénom – merci au livre débile avec l’histoire du petit Shinji qui va à l’école et à l’épicerie. Et pas la peine de s’imaginer que le fait d’appeler quelqu’un par son prénom soit très mal vu au Japon gène Olivia le moins du monde. C’était plutôt une autre excellente opportunité de mettre les nerfs de l’inconnu encore un peu plus a vif.

« Si sur les lettres ils t’appellent regarde, Shinji-kun. Ah oui désolé pour moi ce sera tout de suite Shinji-kun parce que le reste… trop dur a lire, franchement. »

Livia avait dit tout cela en relevant la tête avec un sourire satisfait de gamine capricieuse – celui là aussi très très travaillé mais habituellement plus à l’attention de ses parents. Il fallait quand même le sortir de temps en temps sinon elle perdrait sûrement la main. Bon pas la peine de se tenter le diable non plus. Olivia recula encore de quelques marches bloquant maintenant uniquement l’accès au premier étage.

« Et tu habites à quel étage Shinji-kun ? Comme ça je pourrais savoir où trouvait un voisin gentil et aimable si j’ai besoin de quelque chose. »

Une question qui n’en était pas vraiment une puisque maintenant elle le saurait peu importe comment. Mais la deuxième partie semblait étrangement pleine de sous-entendus. Et pour cause, Olivia n’était pas ce qu’on peut appeler une maîtresse de maison exemplaire et du coup, elle avait TOUJOURS besoin de quelquechose…

Cette gaijin était une enquiquineuse. A croire que le reste du monde lui en voulait pour quelque obscure raison – ça avait réellement été une journée de merde. Certes c’était pour le moins égocentrique de le croire, mais puisque Shinji possédait déjà tellement de défauts, même à ses propres yeux, en ajouter un de plus à sa collection ne changeait rien. Et en plus, qu’est-ce qu’il s’en foutait…

Bon… déjà, la jeune fille ne l’avait pas suivi jusqu’ici. Non, pire : elle habitait quelque part dans l’immeuble. Ce qui signifiait qu’elle venait rallonger la liste des personnes gênantes et bavardes qui s’évertuaient à lui faire causette quand il osait mettre un pied dans le couloir. A choisir, il aurait préféré l’hypothèse de la folle furieuse. Oui, un simple coup de téléphone au commissariat le plus proche aurait suffit à ce qu’il s’en débarasse. Là… et bien, là… il ne pourrait même pas invoquer la légitime défense. Et franchement, Shinji ne demandait qu’à avoir à se défendre.

Le passage du vous au tu ne sembla pas déranger Shinji. Pas plus que le Shinji-kun. En tous cas, il n’eut pas plus envie d’étrangler la gêneuse plus qu’il en avait déjà envie. Agacé par l’attitude infantile de la française, oui. Beaucoup même. Mais il en faudrait plus que ça pour lui faire réellement péter un câble. Il n’était pas tellement en état de le faire, là maintenant tout de suite et la pauvre n’avait aucune chance avec l’entraînement intensif que lui faisait subir Kaoru – d’ailleurs, cet abruti était sûrement en train de squatter son lit…

A dire vrai, toute sa personne ne désirait qu’une chose : rejoindre son appartement.

- J’habite au deuxième étage et le plus loin possible de ce voisin gentil et aimable.

Une phrase de plus de dix mots.
Certains auraient vu là soit une preuve de bonne volonté, soit une capitulation. Ces gens là étaient débiles. Parce qu’en réalité, ça sonnait plutôt comme une menace. Soit Shinji était très très rarement là, mais ce n’était pas une raison pour venir lui pourrir les quelques minutes où il pouvait être tranquille – et croyez-moi, ça se limitait réellement à quelques minutes avec cet abruti de Kaoru qui débarquait à toute heure du jour et de la nuit.

- Maintenant, merci bien. Mais j'ai à faire.

Bon, alors ? Tu le libères ce passage ou tu ne comprends pas ce que j'essaie de te dire ? >.<

L’étudiante directement importée de France était en train de jubiler. Elle adorait ça en fait : se ballader sur la mince ligne qui séparerla simple gamine enquiquineuse de la garce qui s’en prendrait surement une. Non ! Le but n’était pas plus mature que ça. Juste s’amuser au dépens des autres. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, n’est-ce pas ? Et bien Livia se contentait simplement d’appliquer ce principe à la lettre.

En réalité, elle imaginait assez bien la situation de sa nouvelle victime. Il devait travailler au Morbid à un poste relativement important vu ses habits qui n’avaient rien de ceux d’un videur et qu’elle était suffisamment au bar pour savoir qu’il n’y travaillait pas non plus. Donc il devait être levé depuis au moins une quinzaine d’heure. Vu son humeur massacrante, il avait était stressé et n’avait pas eu une excellente journée non plus. Bref, elle était la goutte d’eau qui allait faire déborder le vase et cette idée lui paraissait tout à fait jouissive.

« Au deuxième étage ? Oh ! Trop bien ! Je n’aurais même pas besoin de passer par les escaliers pour venir te voir, mon nouveau voisin pas gentil et pas aimable du tout. Je suis ta voisine de palier. »

Et là, tout le monde, du moins tous les intéressés, doivent comprendre quelque chose comme « Oh ! La bonne nouvelle. Je vais pouvoir venir te prendre tout ton temps et ton énergie dès que j’en aurais envie ! C’est pas génial ? ». Autant dire que c’est LA phrase que personne ne souhaite entendre sortir de la bouche de Livia si on la connaît un peu. Malheureusement pour lui, –ou heureusement pour Livia vu l’heure matinale et l’état de nerf de son interlocuteur- le pauvre japonais ne devait pas encore savoir à quoi s’en tenir.

« - Maintenant, merci bien. Mais j'ai à faire. »

Livia retint de justesse un éclat de rire, bah oui c’est plus facile de jubiler en silence quand on n’a pas une certaine quantité d’alcool dans le sang. Déjà que même sobre, elle avait tendance à rire trop vite à son goût. Son nouveau jouet commençait déjà à en avoir marre. Remarquez qu’il était resté très poli… pour le moment. Glacial, certes mais très poli.

« Ah ! Tu as encore des choses à faire à une heure pareille ? Moi je pensais aller me coucher puisque je n’ai pas cours demain. Mais si tu as encore des choses à faire… je pourrais peut-être venir avec toi pour regarder ? Ce sera sûrement amusant. Hein, Shinji-kun ? »

Oui, oui, elle sait très très bien que la dernière chose dont Shinji-kun est envie c’est de l’avoir sur le dos. Mais c’est justement tout l’intérêt de la question finalement. Juste pour pouvoir lui faire un caprice après son refus. Livia finit la volée d’escalier et attendit avec un joli sourire, plantée au milieu du palier du premier étage.

Par chance pour les nerfs de Shinji ou/et pour l’intégrité physique de la française, il ne savait pas qu’elle se foutait sciemment de sa gueule. Non non. Le jeune homme croyait seulement avoir affaire à une crétine complètement finie. Ce n’était donc pas entièrement de sa faute – parce qu’il fallait quand même être franchement con pour se bourrer au point d’emmerder les braves gens.

Il supporterait donc… poliment… les singeries de la gaijin sans la frapper. Ou essayerait.
On ne pourrait guère lui en demander plus à ce stade.

…

Voisine de palier ?
Nani ?

…

C’était une mauvaise blague ? Non ?
Un mauvaise rêve ? Non plus ?
… Hmm, joker. Hors de question d’admettre la possibilité que ce truc collant habitait au même étage que lui. Le destin lui avait déjà attribué son boulet personnel, que celui-ci aille se trouver une autre jambe à laquelle s’agripper. Non mais oh ! >.<

Pire ! Elle voulait le squatter…avec son air de gamine qui n’arrêtait pas de demander pourquoi ci et pourquoi ça. Et il détestait les marmots.

Poussant un soupir résigné, il se contenta de se lever les yeux vers le plafond avant de passer devant elle sans un mot. La française – dont il ne se souvenait plus le nom, soit dit au passage – sembla prendre son absence de réponse pour une capitulation et le suivit sans cesser pour autant de jacasser derrière lui. Bla bla bla bla bla… quelle horreur. Maintenant, il se souvenait pourquoi il ne supportait pas les femmes, les adolescentes et les fillettes. Non contentes de respirer, elles parlaient. Tout le temps. Sans jamais s’arrêter.

Arrivé devant la porte de son appartement, Shinji inspira profondément. Zeeeeeen. Ne l’étrangle pas, tu y es presque. Allez, enfonce la clé dans la serrure. Non ! Ne la lui enfonce pas dans l’œil. Il faudrait appeler la police, remplir des papiers…

Quoi ? Le commissariat ? Oui, tu pourrais dormir, mais sois raisonnable trois secondes et ouvre ta putain de porte, Shinji !

- Sayônara.

Shinji ne lui laissa guère le temps de réagir à cette marque de politesse. Ou plutôt ce qui aurait été une marque de politesse. S’il ne lui avait pas claqué la porte au nez avant de la verrouiller rapidement.

Acte 3 (Résidence Nakajima)